2021


de la suie

20 x 30 cm
dessins imprimés au duplicateur à alcool
papier 100g



en 1823, Cyrus P. Dakin fabrique les premiers papiers dits « carbone », des feuilles enduites d'huile et de pigment du même nom, le noir de carbone (suie), permettant la copie instantannée d’un document original au moment de sa réalisation. Les propriétaires d'entreprise et les industriels de l’époque, craignant la contrefaçon, mettent du temps avant d’accepter que leurs documents ne soient pas des exemplaires uniques rédigés à la main. Près de quarante ans plus tard, les technologies évoluants, le papier carbone est adopté pour complémenter l’usage de la machine à écrire (1867), qui produit des copies de meilleure qualité, par rapport aux manuscrites. Peu à peu, les copies réalisées grâce au papier carbone prennent le pas sur le document original. La balance se renverse totalement, sous le poids de la demande des sociétés qui s’industrialisent, avec l’essor de la duplication. Une seule matrice originale réalisée avec un papier carbone ou un de ses dérivés permet alors d’obtenir des dizaines d’exemplaires une fois passée dans un appareil rotatif (miméographe, duplicateur à alcool).
Au travers d’une feuille de carbone, l’expérience du dessin est défaite d’une partie de son originalité. La couche intermédiaire, enduite de pigment, transfère tous nos traits au moment même où on les réalise. Ce que l’on a pour habitude d’appeler l’original n’en est donc plus vraiment un, ou alors il n’est pas le seul.

En plus d’amputer le travail initial de son caractère unique et valorisé, la copie carbone nous éloigne du rapport causes/conséquences auquel on est habitué lorsque l’on dessine directement avec, par exemple, de l’encre sur du papier : les traits appliqués plus ou moins aveuglement sur la surface d’une première couche produisent un résultat difficile à anticiper sur la seconde. De plus, dans la majorité des cas, la structure du papier carbone ne permet pas de repasser plusieurs fois au même endroit. Chaque pression exercée sur la feuille détache un peu plus d’encre du support et l’on peut observer, une fois le travail terminé, un négatif littéralement creusé dans la matière.